Récit

Les élus macroniens pris pour cible

Menaces, insultes, intrusions, permanences ou domiciles murés… Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, près d’une soixantaine de parlementaires de la majorité ont été pris à partie.
par Laure Equy et Léo Lefrançois
publié le 11 janvier 2019 à 20h46

C'est devenu une sorte de bulletin quotidien. Des photos de permanences ou de domiciles dégradés ou tagués, des captures de menaces, d'insultes - parfois sexistes, racistes, homophobes, antisémites -, publiées sur Twitter ou Facebook par des députés de la majorité, sous lesquels défilent les messages de soutien de leurs collègues LREM et Modem. Le 4 janvier, Jean François Mbaye mettait en ligne une lettre adressée «au noir de service» par un anonyme se répandant en injures racistes et concluant par un «tu vas mourir». Dimanche, Patricia Gallerneau (Modem), après avoir été menacée «de plasticage comme en Corse», postait des photos de sa maison murée dans la nuit.

Lundi, Aurore Bergé dévoilait un courrier assurant vouloir lui faire «la chatte au fer chaud» avant de la «décapiter» tandis qu'une missive semblable prédisait à Marie Lebec qu'elle serait «pendue». Mardi, la vitrine de la permanence d'Agnès Thill était brisée. Jeudi, celle de Bruno Studer était recouverte d'un «Macron pute à juifs» et de croix celtiques. La petite parenthèse des vacances de Noël refermée, les violences et intimidations visant les parlementaires macroniens depuis le début de l'épisode gilets jaunes, ont repris de plus belle. En deux mois, près d'une soixantaine ont été pris pour cible. «Je suis depuis vingt-cinq ans en politique, élue depuis six ans. J'ai toujours vu des "perles" mais jamais autant de menaces sur autant de députés en si peu de temps», note Barbara Pompili (ex-EE-LV), dont la permanence a été détériorée.

Coups de fusil

Comme elle, certains ont vu leurs locaux vandalisés, peinturlurés de jaune ou d'injures : «Macron dernière sommation», «dégage», «traîtres», «démissionne FDP». D'autres ont reçu des courriers, contenant une balle et la mise en garde «la prochaine fois, tu te la prends entre les deux yeux» pour Benoît Potterie, promettant «la guillotine» à Laurence Gayte ou encore traitant Ludovic Mendes de «petite pute de Macron». Pour tous, les insultes pleuvent sur les réseaux sociaux, surtout après un passage télé. «Du coup, j'ai levé le pied sur les talks sur les gilets jaunes : on est inaudibles et on s'en prend plein la tête», raconte une élue. Une autre parle des coups de fil en série auprès de son équipe. «On va venir te pendre», lâche un homme avant de raccrocher. Après des dizaines d'appels, les collaborateurs d'une députée ont découvert des petites annonces façon téléphone rose affichées sur les poteaux de la ville, indiquant le prénom de l'élue et portant la mention «soumise».

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Cela va parfois jusqu'à l'intrusion de manifestants au domicile des députés. Comme pour Mireille Robert, qui a vu, un soir fin novembre, une quarantaine de gilets jaunes pénétrer dans son domaine de l'Aude, et qui craint «une récidive : j'ai reçu des messages m'avertissant qu'ils reviendront mettre le feu à ma maison». Bruno Questel raconte, lui, avoir entendu, un soir mi-décembre, six coups de fusil tirés devant chez lui. «Quelqu'un a sonné, on a vu une ombre s'enfuir.» Sur le pas de sa porte, il se fait alpaguer par trente-cinq gilets jaunes qui jettent pétards et fumigènes et tentent d'entrer. «Ils me disent : "On est chez nous ici puisque c'est nous qui vous payons."»

Parmi les marcheurs, d'anciens socialistes se remémorent les vitrines des sièges locaux du parti taguées ou criblées lors de manifestations contre la loi El Khomri en 2016, les mails hostiles reçus au cours du débat sur le mariage pour tous et le harcèlement subi alors par l'ex-garde des Sceaux, Christiane Taubira.«Cela fait quinze ans que cette violence couve et a grimpé en flèche. Je fais de la politique depuis vingt-cinq ans et là je suis glacé», conclut Bruno Questel (ex-PS). Que les élus soient aguerris ou novices, «personne n'est préparé à se faire menacer jusque dans sa sphère personnelle», explique Emilie Chalas.

Certains ont dû prendre des précautions particulières. Cette dernière, élue de l'Isère, a annulé une réunion publique en décembre, alertée qu'une centaine de personnes prévoyait de venir troubler l'événement, à l'appel d'un groupe Facebook qui voulait «régler ses comptes» avec elle. Cette semaine, Danielle Brulebois a reporté ses vœux, après avoir été informée par son préfet que des renforts seraient nécessaires pour sécuriser la soirée. «Des gilets jaunes voulaient perturber ma cérémonie et avaient lancé un appel à leurs camarades des départements voisins», relate la députée du Jura. D'autres informent le préfet de leurs déplacements. Pour certains, des rondes de la gendarmerie sont organisées près de leur domicile. «Mon souci, ce sont mon épouse et mes enfants que j'ai entraînés là-dedans», soupire un parlementaire.

«Logique de terreur»

«Une forme de loi du plus fort s'est instaurée dans l'esprit de certaines personnes mais on ne veut pas céder à la psychose», promet Marie Guévenoux. Les boucles Telegram dans lesquelles les marcheurs se soutiennent et «évacuent la pression», dixit une élue, semblent avoir donné du baume au cœur. Passée une phase de «sidération» qui avait laissé une partie des troupes désemparée, les députés LREM disent avoir retrouvé de «la combativité». Dans une tribune parue mercredi dans le Monde, Gilles Le Gendre appelle au «respect de la République et de ses élus». Le président du groupe y déplore l'absence de «dénonciation officielle» des partis de l'opposition et fustige le «silence assourdissant» du RN et de LFI. Une accusation reprise par ses collègues. «Certains disent : je condamne mais… Il n'y a pas de "mais" qui tienne», estime Elise Fajgeles.

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Les élus de la majorité sont aussi décidés à donner un plus large écho à cette violence sans filtre. Et à porter plainte, encouragés par Gilles Le Gendre et le président de l'Assemblée, Richard Ferrand. «Il ne faut pas laisser passer. On a tendance à s'habituer et à se dire que c'est banal mais ça ne l'est pas», résume Laurence Gayte. Bombardée de messages haineux après une interview où elle avait séché sur le montant du smic, Elise Fajgeles a déposé une trentaine de plaintes pour menaces de mort et insultes antisémites. De même qu'Aurore Bergé, qui en est à une vingtaine sur le courrier reçu cette semaine et des mails. «Certains veulent instaurer une logique de terreur. Ce ne sont pas les personnes menacées qui doivent vivre dans la peur, prévient-elle, mais ceux qui menacent qui doivent redouter d'être poursuivis.»

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