L’abonnement à l’Humanité que vous ne regretterez jamais !

J'en profite

À Paris, soignants et gilets jaunes organisent un autre 14 juillet

Les accords du Ségur de la Santé, signé lundi dernier par les syndicats majoritaires du personnel hospitalier, sont très loin de faire l’unanimité. À l’appel de la CGT et de SUD-Santé, plus de 3 000 personnes ont manifesté hier pour dénoncer la faiblesse des mesures négociées et l’« imposture » que constituaient cette concertation.

 

Alors même que Emmanuel Macron était interviewé après une prompte cérémonie militaire aux Champs-Elysées, plusieurs organisations s’étaient données rendez-vous entre la place de la République et la place de la Bastille pour un autre 14 juillet, bien plus festif et bien plus féroce. Il faut dire que le personnel hospitalier a reçu le soutien actif des Gilets Jaunes, qui comptaient déjà se réapproprier, à leur manière, cette journée de fête nationale : une grappe de ballons tenant une banderole « Derrière les hommages, Macron asphyxie l’hôpital » est venue s’immiscer dans le ciel de Paris, tout à côté du défilé traditionnel sur la place de la Concorde. Plus loin, dans le XIIe arrondissement, un bref rassemblement près du siège de l’IGPN s’est également tenu afin de réclamer « justice pour toutes les victimes de violences policières ».

Le Ségur de la Santé, ouvert depuis la mi-mai par le ministre Olivier Véran, s’est terminé dans la douleur en réussissant tout juste à franchir le seuil des 50% de représentativité syndicale afin d’être adopté. Pour Marie-Andrée, aide-soignante au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris, ces accords ne règlent aucun problème : « C’est une honte, ce qu’on veut c’est davantage de moyens, davantage de lits et arrêter avec ces logiques marchandes, les patients ne sont pas des clients ! ». Valérie, infirmière à l’hôpital Bichat, abonde dans ce sens : « On avait demandé minimum 300 euros pour nous aligner sur l’OCDE, on nous donne juste 183 euros nets, c’est absurde, ça n’a aucun sens. Quand je vois ces soignants qui ont fait la courbette à Macron pendant la cérémonie, franchement j’ai la gerbe ».

Voir aussi : L’autre 14 juillet des soignants: « Je me moque d’avoir un défilé à mon honneur, je veux pouvoir travailler correctement »

Les accords n’ont pas effacé les inquiétudes du personnel hospitalier qui n’ose même pas imaginer la possibilité d’une seconde vague de COVID-19. Les voyants rouges clignotent dans tous les services et plus que jamais ces derniers ne tiennent que grâce à l’abnégation de l’ensemble des professions de santé. Les cadences sont intenables et le bien-être du patient n’est même plus à l’ordre du jour. Sur ce point, Delphine, psychiatre au centre hospitalier Les Murets (Val de Marne), trouve difficilement les mots pour qualifier la situation : « La psychiatrie est toujours le parent pauvre de la médecine. De notre côté nous sommes déjà en lutte depuis 2 ans et la situation ne fait qu’empirer. Ne plus pouvoir garantir une continuité des soins pour tous est un signal très alarmant ». L’accueil massif de nouveaux patients ayant développé des troubles psychiques durant l’épidémie et le confinement n’a surpris personne : « c’était évident, on voyait tout ça arriver comme on regarderait un tsunami à l’horizon » assure Pierre, infirmier au centre hospitalier Saint-Anne, à Paris.

L’image de Farida, infirmière à Ivry-sur-Seine, ensanglantée et traînée par plusieurs CRS durant la manifestation du 16 juin dernier, a marqué les esprits. Lorsque blouses blanches et policiers se frôlent, son prénom est crié comme on administre des électrochocs, froidement et sèchement.

À mesure que la manifestation se déplie dans le boulevard du Temple, on distingue de mieux en mieux les différents profils de manifestant. Tristan, « gilet jaune depuis le premier acte et même avant », a décidé d’assortir son gilet fluo avec son masque de protection : « On a vu tous ces soignants se donner corps et âme pour lutter contre l’épidémie, mais les applaudissements ça suffit pas. Pourquoi Macron décide d’ignorer ce qui est sous ses yeux ? » se demande-t-il. En face, un autre gilet jaune. Il est écrit dans son dos « Macron est sourd ? Crions plus fort ». Cela sonne presque comme un début de réponse.

Voir aussi : « Applaudissements du président et clopinettes du gouvernement »

Les violences de la précédente manifestation ont durement touché la convergence des luttes. Par hasard, dans un mouvement de foule, un manifestant entièrement vêtu de noir bouscule une manifestante en blouse blanche. Le ton monte rapidement et le combat oppose désormais un « casseur payé par le gouvernement pour tuer le mouvement » contre une « traître à la lutte qui votera Macron en 2022 ». L’ambiance change radicalement au moment où l’ensemble des CRS reçoivent l’ordre d’enfiler leurs casques. « Ah merde ça recommence … » soupire Axel, un militant communiste, drapeau rouge à la main, touchant le sol comme mis en berne.

Pourtant si proche de Bastille, la manifestation est arrosée de grenades lacrymogènes, bat en retraite puis reprend ses forces pour enfin terminer le parcours. Arrivé sur la place, c’est une toile de maître qui se dessine : une partie des manifestants gravit les marches de l’opéra, tapissé de photographies de soignants avec l’aide de l’artiste JR, tandis qu’une autre partie admire fièrement ce paysage imprenable, de tous ces visages et ces individus unis pour une même cause, avec la conviction que le mouvement vient de franchir une nouvelle étape.


à lire aussi

Les travailleurs du social et du médico-social en grève pour de meilleurs salaires

Social et Économie

Publié le 4.04.24 à 18:44

Au Havre, le naufrage du plus grand Ehpad public de France

Social et Économie

Publié le 28.03.24 à 15:52

Des fermetures de lits à l’engorgement des urgences, les maux sont nombreux. © Hans Lucas via AFP

Crise de l’Hôpital : les CHU alertent sur leur financement

Social et Économie

Publié le 30.01.24 à 09:10

Vidéos les plus vues

Morts au travail, l'Humanité lance une vigie

Publié le 26.04.24 à 15:25

Le non désir d’enfant, un choix comme un autre

Publié le 25.04.24 à 09:48

Raser des arbres pour faire voler des avions

Publié le 22.04.24 à 17:13