Léo Lefrançois
Journaliste
Article

“Un étudiant en journalisme ne devrait pas écrire ça”

30 mai 2020 Témoignage

Je parle en tant que personne homosexuelle qui a subi les effets de ses discours et de ses prises de position. On m’a craché dessus, on m’a menacé, on m’a insulté. Je n’ai aucune empathie envers les personnes qui répandent la haine et détruisent les personnes concernées. Je suis furieux de voir ce genre de propos. J’ai été mal dans ma peau pendant des années, j’ai fait de nombreuses dépressions, j’ai pleuré des nuits entières à cause de La Manif Pour Tous et ses alliés qui nous comparaient à des animaux ou à des pédophiles. Arrêtez de croire que le métier de journaliste est d’être neutre absolument dans toutes les circonstances. Acceptez qu’il existe aujourd’hui des gens qui meurent à cause des idées qu’a véhiculé LMPT, Sens Commun, le RN et l’extrême-droite de manière générale.

Il m’a fallu des années pour trouver qui j’étais. Au collège j’avais envie d’être moi-même, de pouvoir m’affirmer avec fierté. J’ai récolté des poings dans la figure, des coups de pied alors que j’étais à terre. J’étais un intrus dont il fallait se débarrasser. J’ai voulu me faire entendre par l’administration de mon collège. On m’a donné une petite tape amicale sur l’épaule en me disant “alors, tu es un petit bagarreur maintenant ?”, alors même que j’avais un hématome au niveau de la tempe. Cette peur ne disparaît jamais. Croiser des adolescents en bande me fait encore peur aujourd’hui. Mon moi de 13/14 ans ressurgit et me réclame de courir. J’ai développé de l’anxiété sociale, je ne voulais plus retourner au collège, je ne dormais plus. Les débats sur le mariage pour tous étaient une angoisse quotidienne. L’homophobie fleurissait à des heures de grandes écoutes à la radio, à la télévision. Elle s’amplifiait sur les réseaux sociaux.

L’été dernier j’ai été victime, avec une autre personne, de harcèlement homophobe à cause d’un site d’extrême-droite néonazi. Des dizaines de mails de menace, des tentatives de retrouver mon domicile, de s’en prendre à mes parents. Qu’est-ce qui pose problème ? Vous voudriez que je reste silencieux et sage alors que cette personne s’est battue jour et nuit contre mes droits ? Qu’elle a entretenu un climat dangereux et mortel pour toutes les personnes LGBTI ? Je n’ai aucune empathie pour ceux qui me suggéraient de faire une thérapie de reconversion, de me suicider ou de me cacher loin des regards. Je n’ai aucune empathie pour ceux qui voulaient me voir fragilisé, détruit voire mort. Et que personne ne vienne me dire que toutes ces manifestations étaient calmes et bon enfant. LMPT marchait aux côtés de groupuscules d’extrême droite et les deux groupes se légitimaient entre eux. Et ce pendant plusieurs mois.

Je me bats pour exister. Je ne me bats pas pour être simplement toléré dans un petit coin. Je n’ai pas décidé d’être homosexuel, je n’ai pas décidé d’être la cible des obscurantistes que j’ai vu dans tous les médias tout le temps. Claude Goasguen incarnait cette cause homophobe et arriérée. Il incarnait la haine qui s’immisce discrètement et qui se fond dans le décor. Il détenait, en tant que député, un pouvoir qu’il a utilisé contre le droit des personnes LGBTI. Je préfère fleurir les tombes de mes camarades LGBTI que de m’apitoyer sur le sort d’un militant qui savait très bien ce qu’il faisait en participant aux mouvements homophobes dès 2013. J’ai envie de vivre. J’ai envie de pouvoir embrasser mon copain en pleine rue. J’ai envie de me balader main dans la main avec lui. Je ne veux pas survivre en me cachant, en me considérant comme une erreur de la nature ou une malformation humaine. Je défends des principes, je défends les droits des personnes opprimées, je soutiens les causes antiracistes, les mouvements féministes, la communauté LGBTI. J’ai une morale, j’ai des convictions, j’ai une âme, j’ai le droit de m’indigner, dois-je m’en excuser ?

Peut-on me faire parvenir le texte de loi qui m’empêche d’adopter une posture de survie alors même qu’en Europe les droits des personnes LGBTI sont menacés sans que personne ne s’en inquiète ? Peut-on me donner des cours de bonne conduite pour que je ferme bien ma gueule quand il est question de mon avenir et de l’avenir de ceux que je défends ? Je suis écœuré aujourd’hui de voir des personnes féliciter le parcours d’un homme qui a consacré sa vie à faire barrière au progrès et aux droits de l’Homme en s’accoquinant avec l’extrême-droite et avec des mouvements fascistes. Que dois-je faire docteur ? Qu’adviendra-t-il du jour de la mort de Jean-Marie Le Pen, le jour de la mort de Christine Boutin ? Vous vous attendez à un silence de notre communauté ? Vous vous attendez à des obsèques nationales et à la mise en berne de tous les drapeaux du pays ? Un peu de sérieux, vraiment.

Souvenez-vous quand Claude Goasguen faisait partie d’”Ordre Nouveau”. Souvenez-vous quand il a déclaré qu’il faudra bientôt que les habitants du XVIe portent une étoile jaune. Souvenez-vous quand il a demandé à Rachida Dati de ne pas ramener “dans la capitale tes mœurs du 9–3”. Souvenez-vous quand il était membre du groupe nationaliste et fasciste “Occident” qui montrait son admiration pour Maurras ou Brasillach. N’en déplaise à certains, je suis antifasciste. Les engagements passés de Goasguen ne sont pas des erreurs de jeunesse. Ils sont les prémices d’une carrière politique conservatrice, homophobe et raciste. Et il n’y a aucune raison de ne pas le dire aujourd’hui.

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